Les traites: une alternative aux nouvelles restrictions sur les chèques

Les traites peuvent-elles remplacer les chèques en Tunisie suite à la nouvelle loi de 2025 ?

La loi n°41-2024, entrée en vigueur le 2 février 2025, a restreint l’utilisation des chèques en Tunisie, notamment en interdisant leur usage comme garantie ou moyen de paiement différé, et en renforçant les sanctions pour les chèques sans provision. Dans ce contexte, la lettre de change (traite) est souvent évoquée comme une alternative crédible. Voici une analyse des possibilités et des défis liés à cette substitution.

1. La traite : un instrument de crédit sous-utilisé

La traite est un moyen de paiement à crédit, historiquement utilisé dans les transactions commerciales. Elle permet de différer le paiement tout en offrant des garanties juridiques solides. Selon les données de 2024, les traites représentaient 13,6 % des paiements non-espèces en Tunisie, loin derrière les chèques (51,5 %) et les virements (21,2 %).

Avantages de la traite :

- Sécurité juridique : La traite est encadrée par le Code de commerce et offre une protection aux créanciers grâce à son caractère négociable et exécutoire.

- Flexibilité : Elle peut circuler entre plusieurs acteurs économiques avant son échéance, facilitant le financement des chaînes d’approvisionnement.

- Intégration dans la télécompensation : Depuis 2011, les traites sont traitées en 24 heures via le système SIBTEL, avec une gestion électronique centralisée.

2. Réformes nécessaires pour renforcer la traite

Pour que la traite remplace efficacement les chèques, plusieurs améliorations sont nécessaires :

- Création d’une Centrale des Traites Impayées : À l’instar de la Centrale des Chèques, cette base de données permettrait de suivre les taux de rejet et d’attribuer un Scoring de solvabilité aux entreprises.

- Préavis de régularisation : Introduire un délai de 7 à 15 jours pour reconstituer les provisions insuffisantes avant le rejet définitif, réduisant ainsi les litiges.

- Collaboration avec les bureaux de crédit : Les sociétés d’information sur le crédit pourraient partager les données de solvabilité des tirés, renforçant la confiance entre partenaires commerciaux.

3. Défis à surmonter

Malgré son potentiel, la traite fait face à des obstacles majeurs :

- Taux de rejet élevé : En 2024, 8,1 % des traites télécompensées étaient rejetées, contre seulement 2,4 % pour les chèques.

- Coûts supplémentaires : Contrairement aux chèques (gratuits), les traites impliquent des frais de traitement et des commissions bancaires, ce qui pourrait décourager les PME.

- Manque de sensibilisation : Beaucoup d’entreprises ignorent les procédures légales ou les avantages des traites, préférant des solutions comme les virements ou le cash.

4. Perspectives institutionnelles et économiques

Plusieurs acteurs clés plaident pour un retour de la traite :

- L’Organisation Nationale des Entrepreneurs (ONE) : Acil Masmoudi, président de son comité juridique, souligne que la traite doit retrouver son rôle historique d’instrument de crédit, soutenu par des réformes législatives.

- Brahim Bouderbala (président de l’ARP) : Il estime que la traite offre une sécurité supérieure au chèque et pourrait restaurer la confiance dans les transactions commerciales.

- Secteur bancaire : Les banques tunisiennes devront moderniser leurs systèmes pour intégrer les traites électroniques et collaborer avec la SIBTEL pour fluidifier les compensations.

La traite a le potentiel pour remplacer les chèques en Tunisie, à condition que des réformes structurelles soient mises en œuvre : centralisation des données, simplification des procédures et éducation des acteurs économiques. Toutefois, son succès dépendra aussi de l’adoption parallèle de solutions digitales et de l’implication des institutions financières. Comme le souligne Ahmed El Karam, expert bancaire, « la transition vers des moyens de paiement modernes est une opportunité pour réduire la dépendance au cash et aux chèques ».